BIENVENUE À ALKEBWORLD

La grande salle du palais de Blois baignait dans une lumière voilée, tamisée par les vitraux poussiéreux où dansaient les reflets d’un soleil mourant de fin de journée. Une solennité funèbre y régnait, suspendue entre les colonnes de marbre et les tentures cramoisies. Ce jour-là, la cour du roi Louis XII vivait son moment de curiosité.

Debout, au centre du cercle formé par les conseillers, les clercs et les membres de l’Ordre de Shéol, le capitaine de la galère royale, Alain Beaujeu, avait tout l’air de revenir d’entre les morts. Autour de lui, les visages étaient graves, les mains crispées sur des croix d’argent, les yeux plongés dans une expectative muette. À leur tête, le paladin Uriel Clairvaux. Un homme au regard dur, brûlant d’une lueur presque mystique et droit comme un autel. Le paladin rompit le silence.  

— Parlez, Capitaine. Ce que vous avez vu, ce que vous avez vécu… il nous faut l’entendre.

Le capitaine ne répondit pas tout de suite. Ses doigts tremblaient, son regard flottait dans la salle.
La barbe broussailleuse, le teint cireux, les traits amaigris. Puis, d’une voix rauque et râpeuse, venue des entrailles de sa mémoire, il entama son récit...

— Quelle folie m’a envoyé dans cet enfer ?! balbutia-t-il, avant de poursuivre d’une voix étranglée.
Nous sommes partis vers l’ouest, vers le Nouveau Monde, messires, grisés par l’ivresse de la découverte… de l’Atlantide.
Cinq galères, près de deux mille hommes, portant l’étendard de France et les espoirs d’un roi. La traversée fut rude… mais le retour… fut tout autre.

Le capitaine entreprit alors de conter à son auditoire l’océan déchaîné, les mâchoires de la Grande Mer Océane ouvertes pour engloutir les vivants.
Il parla des tempêtes, des vagues colossales brisant les coques comme de simples jouets.
Il parla de la faim, de la soif, des maladies qui emportaient, par petites vagues, les marins, et des corps abandonnés à la mer sans sépulture, avalés par les flots.

Puis vint cette île...

— Un soir, elle apparut.
Inconnue. Non cartographiée.
Et déjà, les étoiles s’éteignaient à son approche.
Le ciel, comme la mer, nous trahissait.
Même le nord... se dérobait.

Poussés par le désespoir, nous accostâmes.
Une plage vaste, sauvage, bordée d’une jungle suffocante et humide, dominée par des montagnes dont les cimes, telles des lames dressées, étaient baignées d’une lumière lunaire crue et froide.
Là…
Là, nous avons cru, un instant, avoir trouvé la paix.
La terre de tous nos désirs.

Après quelques heures d’exploration des abords de la plage, nous les rencontrâmes.
Une femme, d’abord. Grande. Laide.
Puis une deux d’entre elles surgirent des feuillages, en silence.
Des indigènes… à la peau d'obsidienne.
Leurs yeux, changeants, luisants, semblaient refléter des lumières que nous ne voyions pas.
Et leurs oreilles… longues, effilées… comme celles du Malin !

Elles parlaient un langage qui n’était pas fait pour nos oreilles : des claquements de langue contre le palais, des roulements profonds,
des grincements de gorge comme des os que l’on frotte.

Mais l’une d’elles, une femme aux yeux bleus incandescents, nous parla dans notre langue. Sans accent.
Et une seule injonction :

« Partez, sur le champ ! »

La cour frissonna à cette simple évocation.

— Certains de mes hommes… ne pouvaient soutenir leur regard. Poursuivit-il en accélérant la cadence de son récit.
Mais l’homme est orgueil. L’homme est conquête. Et ce que l’homme ne peut comprendre… 

— L’homme tente de le soumettre. Termina le Paladin qui fronçait les sourcils en direction du capitaine qui partageait ce même constat.

L’homme poursuivit : 

— Oh… que Dieu me pardonne de ma folie… Nos réserves s’étaient taries.
La mort, elle, poursuivait son œuvre. Chaque nuit, un feu de moins s’allumait sur la plage. Et toujours aucun repère. Aucun espoir de retour.
Cinq jours de répit… C’est ce que ces femmes indigènes daignèrent nous accorder après des supplications indignes de ma part.
Alors, face à l’agonie de mes hommes, une pensée s’est imposée. Une seule : attaquer leur village.
Voler leurs vivres. Capturer l’une d’elles… marchander sa vie contre la nôtre. Oui… nous avons osé croire cette folie justifiable. Mais ce jour-là…
Elles ne vinrent pas.

À leur place…

Apparut un colosse. Nu jusqu’à la taille, la peau d’ébène luisant sous le soleil mourant, les bras ciselés comme des armes, taillés dans le bronze et dans le combat. Dans sa main, une lance vertigineuse qui crachait et crépitait des éclairs à chacun de ses mouvements, comme si les cieux eux-mêmes enrageaient à travers elle.

Il chevauchait une panthère encore plus haute et plus massive qu'un cheval,
au pelage aussi sombre qu'une nuit sans étoiles, ni lune. Son rugissement faisait frémir mes hommes, et jusqu’à la mer elle-même qui recula d’effroi.

Et dans la jungle… d’innombrables yeux bleus. Brillants comme des feux follets, nous observaient. Comme des proies.

L'homme se tenait devant nous, sans peur. Seul sur cette étrange monstruosité féline. Mais… aucun de mes hommes ne bougea. Pas un. L’instinct savait ce que la raison refusait d’accepter : nous n’étions plus les chasseurs.

Le capitaine marqua une pause. Les mots suivants, il les souffla comme on confesse un péché.

— Ce qui suivit fut un cauchemar sans logique. Mes soldats... mes rameurs... mes matelots, tous pris de folie, se massacrèrent entre eux. Se mordaient, se griffaient, se tailladaient, se mutilaient les uns les autres. Une frénésie générale les emparait. Le colosse, juché sur sa panthère, quant à lui… se tenait immobile au beau milieu de tout ce chaos. Oh, nous combattions vaillamment, oui... mais contre nous-mêmes…

Le capitaine abaissa les yeux.

— Et tandis que par, je ne sais quel miracle, je me réveillais sur un radeau en fuite... Derrière moi… mes hommes, pendus aux cocotiers par les poignets, éventrés, leurs intestins offerts en festin aux oiseaux qui s’en repaissaient. Leurs cris… leurs cris résonnent encore dans ma tête.

Un silence palpable suivit cette confession. Puis, l’un après l’autre, les autres survivants, tenus à l’écart dans des pièces juxtaposées, furent interrogés à leur tour. Tous racontèrent la même histoire. Les mêmes femmes. Le même homme gigantesque. La même folie. La même île. Les mêmes hurlements glaciaux...

Lorsque tous eurent parlé, le paladin Uriel Clairvaux s’avança, l’épée de foi au poing et le regard en feu.

 — Ce que vous avez affronté, capitaine, ceux que vous avez vus sur cette île… ce ne sont pas des humains. Ce sont des Nephalem. Les enfants démoniaques, d'anges déchus. Comme en parle l’Ancien Testament. Et vous vous êtes retrouvés par mégarde, dans leurs terres, au pays d’Odon… Une terre oubliée depuis des milliers d’années, de laquelle vous vous êtes miraculeusement sortis vivants

Il s’arrêta devant le capitaine, le toisa longuement.

— Oh, ce n’est point le hasard qui vous y mena. C’est le dessein du Très-Haut. L’Ordre de Shéol le croit fermement : ces terres, ces créatures, sont une plaie béante dans le flanc de l’humanité. Vous êtes revenus pour nous avertir. Et le message est clair.

Alors, levant les bras vers les cieux peints au plafond :

— Par la Sainte Église… nous devons purifier ces charognes. Nous devons y retourner. Et brûler… jusqu’à la dernière pierre, ces démons. 

Et nul, ce soir-là, n’osa contredire les mots du paladin. Pas même le roi.

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