Il faisait chaud, comme toujours au Nār... Une chaleur lourde qui collait à la peau. Dans la Forêt de Jade, le silence n’était jamais complet.
Les Arbres-Sépulcres, dont les feuilles reluisaient d’une lumière saphir au soleil, soufflaient des secrets en continu, par le vent ou par leur volonté.
Au milieu du chemin, face à l’arbre sépulcre qui avait jadis vu sa mère y être enterrée, ZA Nãla avançait pieds nus, sa robe tachée de terre, ses mains pleines d’encre.
Elle n’était pas prête. Personne ne l’était jamais. Son père, le roi-chaman, était mort, laissant un gouffre béant dans le cœur des alkeb et un royaume aux mains de YA Jalãni Orun, son petit-fils.
Plus de cent cycles s’étaient écoulés depuis. Elle n’avait pas pleuré. Pas encore. Les larmes viendraient plus tard, avec le temps, ou peut-être jamais.
Car à ce temps-là, les guerres tribales étaient monnaie courante au royaume. Son fils, son neveu, son frère, ses amis, son amant, tous avaient péri des lances ou des sabres des ennemis.
Sur les champs de bataille, ou par trahison. Une lame de dague glissée subtilement dans le dos, entre les côtes. Un coussin appuyé sur le visage durant le sommeil. Ou par la main de celui qui vous avait juré fidélité et protection.
Le tronc de l'Arbre-Sépulcre de sa mère semblait être vivant quant à lui. Il paraissait battre du cœur doucement, au même rythme que le sien.
Elle se rapprocha, l’effleura du bout des doigts, puis colla l’une de ses oreilles contre le tronc de l’arbre, espérant entendre une dernière fois la voix de sa mère.
Mais le bois resta silencieux...
ZA Nãla savait ses heures comptées.
Son neveu, YA Jalãni, avait fui le palais en toute hâte avec ses hommes, tandis que plus loin, elle sentait les Mamake approcher.
Ils venaient reprendre leurs terres... Leur palais. Leur trône. En cela, qui pourrait leur en vouloir...
Même si elle l'avait voulu, elle n’avait pas les mots pour les arrêter.
Quand bien même, la laisseraient ils en vie ? Ou bien la feraient-ils se balancer sur une branche d'un arbe par le coup ?
Alors une dernière fois, ZA Nãla fit son miroitement.
Elle ferma les yeux, posa sa seconde main sur le tronc de l’arbre-sépulcre de sa mère et laissa vagabonder son endokã, qu’elle fit courir partout sur l’arbre.
Son énergie chaude et douce s’enracina dans la terre, s’exalta sur chaque branche et feuille, qui prirent immédiatement une couleur bleuâtre électrique à son contact.
Ses iris devenus bleus, elle sourit, laissant perler une larme qui coula sur sa joue lorsqu’elle reconnut enfin un mince résidu de l’endokã de sa mère dans l’une des racines de l’arbre-sépulcre.
— Ah... Tu es encore là, mère... souffla ZA Nãla timidement.
Elle se recula alors, rompant sa connexion avec l’arbre. Immédiatement, les feuillages reprirent leur couleur bleu mat.
Elle tourna sur elle-même. Une première fois. Une seconde fois. Une troisième fois. Ses pas étaient souples, lents et vrais.
Elle fit alors son miroitement, non plus sur l’arbre-sépulcre de sa mère, mais le laissa s’envoler au gré du vent.
ZA Nãla continua de tourner sur elle-même. Ses gestes devenaient plus amples, plus délicats, comme si elle suivait une quelconque logique précise avec ses membres. Les lianes et les branches autour d’elle se mirent à imiter ses mouvements.
Son endokã reflétait sur les feuilles et le sol autour d’elle.
Et elle dansa durant des heures entières... Peut-être même durant une orbée entière. Sans savoir les pas, sans pouvoir s’arrêter...
La forêt tout entière semblait avoir pris vie.
Lorsque les Mamake parvinrent au palais de Zanjãra et prirent pied dans la Forêt de Jade, leurs hommes découvrirent, abandonnés face à l’Arbre-Sépulcre de ZA Fëana Orun, les vêtements de cette dernière aux couleurs de son clan.
Et certains, parmi les plus superstitieux des guerriers, jurèrent que durant toute une Lune, le vent lui-même refusa de souffler droit. Que les lianes se tordaient dans l’air comme possédées, fouettant les visages de tous ceux qui s’approchaient de l’arbre-sépulcre de ZA Fëana, dessinant des formes grotesques et effrayantes.
Certain djēle affirment que ZA Nãla n’a jamais quitté cette forêt, devenant ainsi la Volonté de la Forêt de Jade…
D’autres lui attribuent la naissance de la légende des Tigres de Lune, qui apparaissent près des habitations pour annoncer la mort ou la naissance.
Mais une chose demeure certaine : la forêt, elle, n’oublie jamais.
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JESSY
LA FILLE DES EMBRUNS SALÉS