BIENVENUE À ALKEBWORLD

- Je veux que vous me parliez d’elle, Peters. Depuis deux mois que nous avons commencé nos séances, pas une fois vous ne vous êtes ouvert à moi. Dites-moi, comment est-elle ? À quoi ressemble-t-elle ? Comment s'exprime-t-elle ? Quelle est son odeur ?

D’une voix anormalement grave pour une femme de son âge, la psychiatre de l’établissement pénitencier au tailleur bleu ciel, bien trop chic pour que je puisse ne serait-ce que me sentire àlaise à me trouver dans là même pièce qu’elle, m'analyse.


Elle me questionne.


Pense pouvoir me comprendre, cerner mes pensées, les plus

primitives de mes pulsions qui ont fait que moi, un homme, ai fini par ôter la vie de neuf êtres humains. Un assassin. Un uxoricide.


- Je suis si fatigué de vivre sous son emprise… lui dis-je, en tirant une nouvelle fois sur mon mégot de cigarette. Fatigué de voir son visage m’observer chaque nuit.

Les cendres tombent à terre, emportées par un léger courant d'air provoqué par la petite fente sous la porte du bureau au plancher en bois grinçant.

- Alors, libérez-vous. Me dit-elle calmement.


Ses yeux gris me transpercent, indifférents à ma souffrance.


D’un air dégoûté, elle fixe la croûte épaisse qui s’était reformée sur mon doigt mutilé. Du pus suinte lentement.


- Qu’attendez-vous pour vous libérer d’elle, Peters ?


Je regarde par la fenêtre. Le ciel est gris, lourd, empoisonné par une brume épaisse qui engloutit la ville.


Puis, mon regard se pose sur ma psychiatre. 


Assise face à moi, son carnet sur les genoux, son stylo danse sur le papier, noircissant la page de ses observations.

Je lui adresse alors un sourire ironique.


Un geste que les muscles atrophiés de mon visage déformés par la graine du mal, semblaient avoir oubliés.


En quelques mois à peine, mon corps s’était flétri, comme si j’avais vécu une existence entière en accéléré, sur cette foutue planète terre.


- Je ne peux me défaire d’elle. lui dis-je. Plus maintenant. Je lui

appartiens.

 

 

Le point de bascule de ma vie eut lieu cette nuit du treize mai deux-milles-onze. Une fin de journée usante, semblable à tant d’autres. 

Une énième journée de travail rythmée par des clients ignorant mes appels d’offres convaincus que moi, l’un des commerciaux les plus aguerris de ma boîte de conseil, pourrait baisser mon froc lors des négociations de contrats.

À cette époque, ma femme, était mon monde. Nous nous étions rencontrés grâce à un client devenu un ami, lors d’un afterwork. Ses lèvres roses et pulpeuses, ses yeux bleus, et cette manière si particulière d’attacher ses longs cheveux argentés en un chignon faussement négligé, m’avaient toujours fait penser que j’étais l’homme le plus chanceux. Belle et intelligente, elle était mon équilibre, mon tout, ma fierté. Et lorsqu’un soir de 1993, elle m’annonça que j’allais devenir père, mon bonheur fut complet. J’avais l’impression d’avoir atteint le but de toute une vie.

Le jour le plus heureux de ma vie fut celui où ma fille vit le jour, par césarienne, à l’hôpital Saint-Henri du Marais.

Mais ce plus beau cadeau devint aussi mon plus grand cauchemar, ma plus grande perte et ma plus grande faiblesse. Le début de ma descente aux enfers.

Le soir en rentrant du travail, alors que ma femme et ma fille m’attendent dans le salon pour le diné, je suis attaqué. À peine ai-je sorti mes clés que je sent un violent coup s’abattre sur l’arrière de mon crâne.

Le reste est un trou noir. 

Un vide immense qui s’élargit et s'approfondit, chaque fois que j’essaie de me souvenir.

Lorsque je reprends connaissance, je suis ligotée dans mon propre salon. 

Un morceau de chiffon sale dans la bouche et sur les lèvres du coach enroulé autour de tout mon visage.

Face à moi, ma femme et ma fille, terrorisées, en pleurs et elle aussi, ligotées et bâillonnées. 

3 hommes masqués, vêtus de noir, saccageant notre maison. 2 d’entre eux parlent avec un accent maghrébin, un accent des cités du nord de la ville. Tandis que le troisième, silencieux, fixe ma fille d’un regard immonde, un couteau en main.

Je me débat, de toutes mes forces. Je crie, je hurle, j'appelle à l’aide, l’implorant de ne pas poursuivre sur ses pensées abjectes. 

Mais, l’homme, à déjà enfilé sa masculinité en ma fille, de force.  

Sous mes yeux. À moi, son père...

À cet instant, mon monde s’effondre. L’un des 2 autres hommes s'en amuse, et me force à observer la scène.

Le canon de son arme glaciale posée sur ma tempe. 

Tandis que le troisième homme, après avoir vide le coup contenue de notre coffre où étaient rangés nos bijoux, arrache les vêtements de ma femme en pleurs.

Il la roue de coups violents, et lui fait subir le même sort que ma fille.  

Sous mes yeux. À moi, son mari...

Ma famille ne se remettra jamais de cette tragédie. Ma fille se mura dans un silence, le restant de l’année, quitta son collège, refusa de voir ses amis, pour finalement se donner la mort le 24 septembre de cette même année, en se jetant sous un train. Une lettre avait été rédigée à notre attention. 

A moi, son père, ainsi qu'à sa mère...

Couchant sur papier avec ses mots d'adolescente son geste désespéré, voulant rejoindre sa grand-mère vers un monde de paix, un monde ou le mal, ne pourrait plus l’atteindre. 

Quelque auréolé de ses larmes séchées, avait dilué à quelques endroits ses mots. Cru et bref. Nous demandant de lui demander pardon. 

Ma femme, quant à elle, perdit toute volonté de vivre, comme moi. Ne ressentant plus de désir, plus de tristesse, plus de colère, juste un vide, creux et résonnant. 

Un mur s’élève alors entre nous. Et, après des sessions interminables de thérapeute de couple siphonnant le peu d’argent qu’il nous reste, tentant de sauver le lien unique qui nous relie. Notre relation s'empire, se dégrade de jour en jour.


Pour ma femme, je ne suis plus qu’un meuble de la maison, et moi... Je ne vois plus sa beauté. Ni en elle, ni sur elle. 

Elle qui fut jadis mon rayon de soleil, ma source de bonheur inconditionnel, est à présent devenue ma source d'angoisse. 

Sa simple présence m'irrite tout en sachant que ma présence l’irrite également. 


L’homme de famille, ayant failli protéger ses deux femmes. C’était ça que je m’imaginais qu’elle pensait, et même si jamais elle ne me l’a dit ouvertement, son regard, lui ne mentait pas. 


Alors, je m'enferme dans l'alcool. 

Un verre de vin par jour au début qui se transforme en une bouteille de cinquante centilitre, qui se transforme en une bouteille d’un litre, qui se transforme dans mes moments les plus bas, en une bouteille de whisky, ou deux…  

Cette dépendance, en entraîne une autre. Mon appétit sexuel. D’un homme non comblé dans son foyer, se transforme en obsession pour les films pornographiques, suivit bientôt par des rencontres de nuit d'escorte. 

Aujourd’hui, ces escortes me répugnent, autant que je me répugne moi même, après une énième jouissance mécanique, dans une énième escorte, dont le nom et le visage m'échappent encore. 


Mais, est-ce bien important ? 

Maintenant que ma femme, me demande le divorce.

A moi, celui qui fut son mari. Celui qui fut sa source de bonheur. 


Ce matin, arrivé en retard à mon lieu de travail pour la énième fois, je croise mon manager dans les couloirs, un homme juste mais intransigeant. Il avait toujours su me couvrir, conscient de ma situation, de mes travers et des raisons pour lesquelles je ne suis plus que l'ombre de l’homme que j’étais avant que le drame ne s'abatte sur ma famille.

Autrefois l’un des meilleurs vendeurs, à présent je ne suis plus, au mieux, qu’à la hauteur des meilleures nouvelles recrues. Autrement dit, à peine rentable aux yeux de mes patrons, qui n’attendent qu’un faux pas de plus pour me remercier et me mettre à la porte.

Dans un sermon qui sonnait plus comme un dernier avertissement, il me dit alors que, même dans les pires moments de la vie, l’essentiel est d’éviter de s’ajouter un problème de plus.

À ce stade, mon travail est la seule chose que je peux encore sauver, ou du moins, celle dont je détiens encore les clés pour ne pas sombrer davantage.

Ses paroles sages, me frappent comme un électrochoc. 

Je prends conscience que je suis devenu un paria au sein même de mon équipe. 

Rétrogradé, je finis ma journée en atteignant à peine la moitié de mon objectif journalier.

Une réussite pour moi, ayant encore des relents de whisky dans mon haleine, les yeux boursouflés de ma nuit blanche.

A la sortie du bureau, je vois une petite brocante nocturne et décide sous les conseils d’un collègue de prendre l’aire, de me remettre à vivre. En réalité, ce que je redoute le plus, c’est de rentrer à la maison. 

Sans joie. Sans chaleur. Sans âme.

Cette ambiance pesante m'avait d'ailleurs créé plusieurs ulcères à l’estomac. Diminuant par la même occasion encore plus, mon espérance de vie, déjà bien rognée par ces nouvelles habitudes.

Dans cette brocante, je me promène, déambule entre les étalages. 

J’observe les gens. Juges les gens. Envie les gens.

 Me remémorant que ma vie, il y a encore deux ans, était parfaite. La brocante était une des plus connues du Marais, et avait lieu chaque premier vendredi du mois en soirée. 

Plusieurs stands de vendeur de hot dog, de pain saucisse et de friterie me font de l'œil. La fumée de viande grillée me rappelle que malgré tout, je suis humaine et que ces choses, vitales, restent aussi délicieuses et appétissantes, même lorsqu’on est devenu comme moi, un déchet. 

Je m’approche de la barraque-à-frite, prêt à sortir mon portefeuille. 

- Des frites, ketchup, et une deux grosse boulettes, pensais-je dans ma tête, avant de passer devant un stand qui vend des bijoux ésotériques artisanaux.

Je m’approche alors du stand. 

Une table en bois, quelques bâtons d'encens brûlant posé sur l’étales sur lequel avait été tiré une nappe en nylon rouge et des présentoirs sur lesquels des bijoux sertis de quartz, d'améthyste, de rose des sables et autres minéraux sont exposés.

L’un des deux vendeurs, un nègre d’une cinquantaine d’années, au visage ridé, me remarque. Sans attendre, il s’approche et entame son discours commercial. 

Son français est approximatif mais compréhensible.

Il me montre alors un bracelet et m’assure qu’il me portera chance si je le porte.

- vingt-cinq euros ! dit-il en me souriant.

Je lui rends son sourire et lui réponds que je n’ai que quinze euros sur moi. Au même instant, je feigne de m’intéresser à d’autres bijoux, bien moins chers, sur son étalage espérant une réaction rapide de sa part.

Finalement, il me le laisse à vingt euros. Il m’offre en prime un cadeau pour ma femme : une bague en argent dont il tenta de me faire croire qu’elle avait été forgée par les alkebs. 

Je souris à mon tour, le félicitant pour sa technique commerciale, puis je prends mon paquet de frites du stand voisin avant de rentrer chez moi.

Le traumatisme de mon agression ne s’est toujours pas estompé avec le temps. Chaque soir, avant de rentrer chez moi, par réflexe, je jette un regard par-dessus mon épaule, vérifiant que personne ne me suit.

Et même si c’était le cas... Si l’homme était armé, je ne chercherais plus à me débattre pour survivre. Je lui demanderais simplement d’en finir au plus vite.

J’ouvre la porte de la maison et traverse le salon. En silence. Ma femme est affalée sur le divan, le regard vide.  

Une odeur de renfermé, mêlée à la transpiration, flotte dans la pièce mal aérée. 

Sans un mot, je me dirige vers la cuisine, au fond de la pièce, et m’assois sur un tabouret. 

Devant moi, mes deux nouvelles acquisitions.

- De la chance… murmurai-je en observant le collier.

Un simple cordon duquel pend un cristal de roche transparent. Je desserre ma cravate, ouvre les premiers boutons de ma chemise et passe le bijou autour de mon cou, sans trop savoir combien de temps je le garderais avant de m’en lasser.

Puis, je sors la bague du petit sachet en papier brun dans lequel le vendeur l’avait emballée.

Étrange… me dis-je.

L'anneau est fait d’une sorte de liquide solidifié en perpétuel mouvement, sans jamais changer de forme.

Au sommet de la bague se trouve un orbe de verre rempli d'un gaz bleu irisé, serti avec une précision envoûtante. L’intérieur de l’orbe paraît aussi infini qu’une galaxie, traversé par des myriades de points gazeux lumineux. Mes yeux s'attardent alors sur ce qui maintient cet orbe.

La pierre est entourée de flammes sculptées, qui semblent danser et onduler autour de la pierre.

Lorsque j’agite la bague, la penche, de gauche à droite, les éléments se mélangent, et l’anneau, lui-même, semble se mouvoir comme les eaux d’une rivière en mouvement. Comme un liquide solide. 

- Peut-être finalement que ce nègre me disait la vérité… Me dis-je en enfilant la bague. 

Après quoi, je finis par me cloitrer dans mon bureau. 

La porte fermée, je m’adonne alors à mes deux passions préférées. La boisson, en vidant une énième bouteille de vin et le porno, m’abandonnant à un plaisir solitaire, sur des images, de plus en plus crue, de plus en plus extrême.

Le lendemain matin, en me réveillant dans la chambre d’amis, je réalise que j’avais encore dormi tout habillé. Chaussures et cravates encore sur moi. Le cendrier débordant de mégots, et mon verre de whisky, à moitié vidé, traîne sur la table de chevet.

Mon premier réflexe est de l’achever d’une traite.

La gueule de bois me vrille encore le crâne. Je me traîne avec rigidité et lourdeur jusqu’à la salle de bain. D’un geste négligent, j’arrache mes vêtements et les laisse tomber à même le sol.

Je retire ensuite le collier de cristal de mon cou, déjà honteux d’avoir cru, ne serait-ce qu’une seconde, qu’un simple caillou puisse me porter bonheur. Puis, je tente d’ôter ma bague.

Elle résiste.

Impossible de la faire glisser hors de mon index.

Je passe ma main sous l’eau chaude, la couvre de savon et tire de toutes mes forces.

Rien à faire. La bague reste obstinément vissée à mon doigt.

Nu, face au miroir, je contemple le reflet de mes échecs, avec l’impression que, en l’espace d’une nuit, plusieurs années se sont gravées sur mon visage.

Puis, mon regard glisse vers ma montre. Je suis déjà en retard.

- Je réglerai ça plus tard, soufflais-je.

Je prend une douche rapide, m’habille et quitte la maison sans un mot pour ma femme, qui n’a pas bougé du canapé depuis la veille.

Une fois arrivé aux bureaux, je me retrouve face à des portes closes.

Samedi.

Putain.

Pestant contre le monde entier, je me dis que, finalement, la journée aurait pu être pire. Alors, autant la précipiter dans le néant.

À neuf heures du matin, je me retrouve en costume, rasé de près mais les traits tirés, attablé à la terrasse d’un café, une bière pour seul déjeuner.

Une jeune femme d’une vingtaine d’années s’installe à la table voisine. Plongé dans mes pensées, je ne remarque même pas qu’elle vient de faire une remarque sur la bague à mon doigt.

Je lève les yeux vers elle.

Elle est parfaitement mon genre. Traits fins, cheveux noirs et lisses, regard sombre et aguicheur. Son charme ne me laisse pas indifférent.

N’ayant rien de mieux à faire, je décide d’entrer dans la danse et l’invite sans détour à prendre place à ma table, dégageant mon porte document pour lui faire de la place sur la chaise à ma droite.

À ma grande surprise, lorsqu’elle passe commande, elle prend une bière, me laissant sous-entendre qu’elle avait quelque chose à fêter par sa manière d’être.  

On passe ainsi toute la matinée à discuter, sans voir le temps filer.

J’apprends, non sans tristesse, qu’elle venait de perdre sa mère, emportée par la maladie. Comme un malheur n’arrive jamais seule, elle avait également découvert que son copain, avec qui elle partageait sa vie depuis près de deux ans, menait un double jeu.

Je l’écoute, captivé malgré moi. J’observe ses lèvres bouger, ses fossettes se creuser à chaque mouvement de mâchoire. Et une seule pensée m’obsède à cet instant. La coucher dans mon lit.

- Qu’attend-elle d’autre de moi ? me dis-je.

Moi, qui pourrais aisément passer pour son père.

Midi sonne.

Le ventre repu de mes quatre bières et du hamburger partagé avec Jessy, je savoure encore cet instant, convaincu qu’il ne se répétera pas. Une simple parenthèse éphémère dans ma vie, destinée à se refermer aussi vite qu’elle s’est ouverte.

Et il fût ce qu’il devait être, après l’avoir pensé.

Chaque jour, durant les deux mois qui suivent notre rencontre, je me retrouve à cette même terrasse, terminant mes soirées en compagnie de Jessy.

Elle, si jeune, si sauvage.

Dans sa manière d’être, il n’y avait aucune dissonance. Aucun jugement.

- Je suis une vieille âme, dans un corps jeune, répétait-elle si souvent.

Elle qui m’explique que la bague que je porte est un talisman porte-bonheur. Selon elle, la force qu’elle peut m’accorder dépend entièrement de l’importance et de l’attention que je lui accorde.

Je ri.

Je lui raconte comment, plusieurs fois déjà, j’avais tenté de l’enlever, en vain. 

Comment j’avais tenté à plusieurs reprise de retrouver ce nègre qui me l’avais vendue, mais sans succès.


Comment j’avais même essayé de la couper avec une pince en fonte, qui s’était brisée net.

- Je n’ai plus mis les pieds dans une église depuis mes dix-huit ans. Mais, je sais reconnaître un signe divin quand il se manifeste, lui soufflai-je en la prenant par la taille, avant de poser mes lèvres sur les siennes.

Douces. Sucrées.

Elle ferme les yeux, prend mon visage entre ses mains et s'abandonne à moi.

Autour de nous, sur la terrasse, je sens les regards, chargés de jugements.

Mais qu’importe.

À cet instant, je me sens revivre. Jessy vient de rallumer en moi une flamme que je croyais éteinte depuis longtemps. 

Alors, je l'invite à finir la nuit chez moi.

Elle hésite. 

Consciente que je vis toujours avec ma femme. 

Mais il ne me faut guère insister plus longtemps. Jessy est de celles qui aiment les interdits.

Elle pince ses lèvres.

Me lance un regard indéchiffrable, sulfureux et sombre, tout en caressant ma masculinité à travers le tissu fin de mon pantalon. Ce simple geste fait naître en moi un désir encore plus intense.

Elle accepte.

Et ce soir-là, Jessy pénètre pour la première fois dans ma maison.

Comme à son habitude, ma femme ne relève même pas la tête en m’entendant rentrer. Les bruits des talons de Jessy résonnant sur le carrelage du corridor ne semblent pas non plus l’émouvoir.

Puis, dans un élan d’audace qui me prend de court, Jessy ose la saluer en passant devant elle, avant de déposer son manteau sur le fauteuil en angle de la pièce.

Ce geste provocant, insolent… m’excite encore plus.

Je sers à Jessy un verre de gin dans la cuisine, l’embrasse langoureusement, puis l'invite à monter dans la chambre d’amis.

Tandis qu’elle gravit les marches, je ne peux m’empêcher d’observer les ondulations de son corps, la cambrure de ses reins. Mais, pris d’un bref remords, je jette un regard furtif vers ma femme.

Elle est redressée dans son fauteuil.

Elle pleure.

En silence.

À peine la porte refermée, Jessy, dans toute la fougue de sa jeunesse, se jette à mon cou, arrache ma chemise dans un éclat de boutons projetés aux quatre coins de la pièce. 

D’un geste aussi vif, elle fait glisser son chemisier, le jetant sur la commode. Dévoilant sa nudité. Sa poitrine excise et ferme, dont je vais me délecter. 

Je suis prêt. Dur.

Je prends mon temps. Savoure chaque instant. Chaque parcelle de son corps.

Le goût de sa peau, si pâle, si chaude, si douce…

Je sens son pouls s’accélérer, le mien suivre le même rythme, tandis que sa respiration se fait plus fiévreuse.

Puis, dans un élan bestial, je la retourne contre le mur. 

La lampe de chevet bascule, s’écrase au sol dans un bruit sourd, plongeant la pièce dans l’ombre. Seule la lumière tamisée de la lune, filtrant à travers la fenêtre ouverte, éclairait mon acte.

Alors, je la prends.

Encore. Encore. Et encore…

Jusqu’à l’épuisement.

Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, ni en moi, ni en elle.

Le lendemain matin, c’est seule que je me réveille dans ce grand lit, devenu si froid, sans la chaleur de Jessy. 

Mais, son odeur, son parfum embaume encore les draps. 

Ma femme, quand à elle à disparue elle aussi du salon. Mais, sa voiture est toujours garée dans l’allée. 

- Probablement cloîtrée dans sa chambre à contacter son avocat pour accélérer le processus de divorce, me dis-je en me disant que j’ai peut-être été trop loin cette nuit.

Ni d’une ni deux, je me prépare un petit-déjeuner copieux. Des œufs, des tartines au fromage et un café bien serré pour me réveiller.

Assis à la table, portable en main, je passe en revue distraitement les actualités.

Puis, plusieurs notifications ont attiré mon attention.

Des dizaines de messages. Des amis, de la famille, même des inconnus m'identifient sur plusieurs articles de la presse locale, relayés par plusieurs médias.

Intrigué, je clique.

Et mes doigts lâchent ma tasse de café brûlant, qui s’écrase au sol dans un bruit sourd.

La justice venait de relâcher deux des 3 hommes qui, deux ans plus tôt, avaient agressé, violé et détruit ma famille.

Un coup de poignard.

Mon premier réflexe fut de penser à ma fille. Mon ange parti trop tôt. Privée d’avenir par ces monstres.

Des larmes de rage coulent sur mon visage, crispé par la haine et un profond mépris pour la justice de ce pays.

Les noms et visages des bourreaux avaient été dévoilés. Les commentaires défilent, réclamant vengeance en son nom, au nom de ma femme, à mon nom.

Je serre le poing. Rumine ma colère.

Puis, incapable d’apaiser le feu qui me consume, je me sers un verre de whisky.

Un deuxième.

Jusqu’à ce que la haine s’étouffe dans l’ivresse. Jusqu’à ce que je prenne le volant, titubant de colère et d’alcool, en direction du travail.

Mon manager, ayant lui aussi appris la nouvelle, m’offre ma journée. Un cadeau empoisonné, avant que mon patron ne me voie dans cet état lamentable et ne décide de me virer définitivement.

Alors, à neuf heures vingt, je me retrouve une fois de plus sur cette foutue terrasse.

Débraillé. Amoncé. Un regard vide posé sur ma première bière.

Et puis, Jessy apparaît. Aussi belle et sauvage que la veille.

Elle s’installe en face de moi, croise ses jambes, laissant apparaître plus qu’il n’en faut de ses cuisses découvertes, d’une voix douce mais tranchante, elle susurre à mon oreille qu’elle sait, pourquoi je suis dans cet état.

Ses mots me font lever la tête.

- Un homme, un vrai, protège sa famille, poursuit-elle en plantant son regard dans le mien.

Le silence pèse, se prolonge, s'éternise.

Puis, elle ajoute, plus impérieuse encore :

- Tu n’as pas su protéger ta fille de son vivant. Maintenant, rends-lui justice.

Un frisson me parcourt l’échine.

Ses paroles sont plus brutales que d’ordinaire. Plus dérangeantes.

- Que veux-tu dire ? lui dis-je. Mais, son regard me permet de deviner ses pensées.

Elle me dit alors que si moi, un homme, je ne suis même pas capable d’honorer la mémoire de ma fille, mon sang, ma chair…

Alors, je ne mérite plus son temps, et qu’elle regrette d'avoir passé la nuit avec un homme, tel que moi.

-  Je n’aime pas les hommes faibles, qui se cachent lorsqu’ils doivent prendre leur responsabilités et agir. Es-tu de ces hommes ? me dit-elle. Tout en me laissant lui embrasser le coup.

Son parfum charnel, sa voix… Tout en elle me transcende. Et, à cet instant, Jessy devient mon obsession.

Jessy me murmure qu’elle m’a mâché le travail. Elle sait où résident ces deux hommes. Elle connaît leurs habitudes, leurs itinéraires.

Puis, elle me tend un bout de papier. Une adresse. Une heure. Et me fait jurer de tenir ma parole, au nom de ma fille.

Au nom de ma famille brisée. Au nom de mon amour propre.

Elle m’embrasse mécaniquement, sans tendresse. Un baiser de spectre, puis disparaît. 

Huit jours plus tard, j’y suis.

Dans ce parc mal éclairé de l’esplanade du Marais. Caché dans un recoin sombre. Un maillet en fonte serré dans ma main.

Je suis un chien en chasse. Mon cœur cogne contre ma cage thoracique, battant au rythme de ma haine.

Le visage de ma fille hante mon esprit. Ses rires. Ses pleur. Ses dernier mo.

Les paroles de Jessy tournent et résonnent en boucle dans ma tête.

Puis, je le vois.  

L’homme sort de la station de métro. 

Seul. 

Ma chance me sourit.

Il rit au téléphone, insouciant. Libre. Comme si de rien n’était.

Mais aujourd’hui, c’est moi qui lui ôterait la vie. 

Alors, je lui bondis dessus. Ma fureur s’abat sur lui comme le jugement divin. Le maillet fend l’air, s’écrase sur sa boîte crânienne qui éclate instantanément sous l’impacte. 

Son corps s’effondre sur le trottoir, comme un vulgaire pantin désarticulé. Mais, enragé, je continue de le cogner.

Encore. Encore. Et encore…

Les coup pleuvent. Violent. Implacable.

Jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu’une masse informe, méconnaissable, déformée, édentée.

Le sang gicle. De la matière cérébrale éclabousse le sol, mes chaussures, mon visage, mes vêtements.

Je cours ensuite haletant vers ma voiture à toute vitesse.

Je saute à l’intérieur, les mains crispés sur le volant en cuire. 

Mais une douleur fulgurante me fait grimacer.

Ma bague.

Elle se resserre. Me brûler la peau. Me ronge la peau. 

Des veines, pourpre et mauves, saillantes sous ma chair. Remontant lentement, sinueuse, traçant un réseau malade jusqu’à mon avant-bras. Jusqu’à mon cou.

La douleur pulse, lancinante et s’enracine plus profondément en moi. Comme si quelque chose prenait possession de mon corps.

- L’adrénaline ? murmurais-je en démarrant en trombe vers chez moi.

Sous la douche, je tremble.

L’eau ruisselle sur moi, brûlante, mais elle ne lave rien. 

Ni l'odeur du sang. Ni la réalité. 

Je peine à comprendre ce que je viens de faire.

Alors, pour fuir, pour m’ancrer dans quelque chose de tangible, je m’enferme dans mon bureau.

L’écran s’illumine. Je fais alors déferler un flot d’images pornographiques. Plus extrêmes. Plus violentes encore qu’avant.

Une main sur ma masculinité en exaltation. L’autre naviguant sur l’écran.

Mais soudain, tout se brouille dans mon esprit, et les yeux de Jessy m'apparaissent du néant.

Le dégoût m’envahit, acide.

Je fonds en larmes puis l’effroi me submerge…

Je réalise enfin ce que je suis devenu...

- Dieu… Je viens de tuer un homme. Voudras-tu encore de moi ?

 

 

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